Et si la solution était locale ? Services de proximité et de sécurité culturelle dans le Nord-Ouest
Comment rapprocher des services culturellement sécurisants des communautés nordiques et éloignées, là où les distances sont grandes et les ressources rares ?
Dans le Nord et le Nord-Ouest du Canada, les réalités de terrain sont bien connues : petites communautés dispersées, longues distances, coûts de déplacement élevés, rotation du personnel, logements limités. Quand on parle de services pour les femmes aux prises avec la violence, ces contraintes pèsent doublement : partir, se cacher, se loger, consulter, tout est plus difficile. Pourtant, les solutions existent, et elles sont souvent… locales. C’est le cœur du débat que l’on voit émerger dans les études et les politiques : comment financer, stabiliser et ancrer des services de proximité, adaptés à la culture et aux langues, au plus près des personnes et des familles.
Pourquoi « proximité » et « sécurité culturelle » vont-ils ensemble ?
Les données nationales montrent un besoin très concret : en 2022-2023, on comptait 560 établissements résidentiels au Canada dont le mandat principal est d’accueillir des personnes aux prises avec la violence, pour 60 965 admissions, et un tiers des refuges ont dû refuser des femmes le jour de référence, le plus souvent parce qu’ils étaient pleins. Surtout, 85 % des établissements soulignent le manque de logements abordables comme défi majeur pour les résidentes. Dans les territoires, les admissions ont récemment augmenté, avec des pics notables au Nunavut ; dans les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.), le volume reste inférieur aux niveaux de 2017-2018, signe d’un système encore en tension. Ces indicateurs, loin d’être abstraits, appellent des réponses locales (logement transitoire, maisons sûres, partenariats communautaires) pour éviter les refus par manque de place.
Ce que les politiques récentes proposent. Le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe place au centre des priorités l’accès rapide, fiable et adapté à la culture aux services, y compris en milieux ruraux, éloignés et nordiques. Les ententes bilatérales (par ex. avec les T.N.-O.) insistent sur l’investissement direct dans les communautés et sur des approches dirigées par les peuples autochtones. Ce cadre reconnaît qu’il faut stabiliser les acteurs du terrain (refuges, organismes, médiation, justice réparatrice) et renforcer les services enveloppants (santé, justice, logement, revenus).
L’importance d’un ancrage inuit et autochtone. Les analyses de Pauktuutit rappellent l’ampleur des besoins en Inuit Nunangat (Nunavut, Nunavik, Nunatsiavut, Inuvialuit) : taux élevés de violence signalés, isolement, manque d’options de logement et de refuges proches, enjeux de confiance envers les institutions liées à l’histoire coloniale. D’où l’exigence de services dirigés par les communautés, en inuktut et avec du personnel formé aux approches informées par les traumatismes. Cet ancrage culturel renforce l’accès, la rétention et la qualité du soutien.
Des leviers concrets, testés et prometteurs.
Équipes mobiles et cliniques « hors les murs » : sorties régulières dans les hameaux, permanences au centre communautaire, et accompagnement discret pour l’accès à l’aide au revenu, à la garde d’enfants et aux ordonnances de protection.
Maisons sûres et réseaux d’accueil (safe homes) : petites unités de proximité, parfois appuyées par des familles-hôtes formées, pour éviter des déplacements aériens coûteux et traumatisants.
Navigation culturelle : pairs-aidantes, aînées et intervenantes locales qui accompagnent les démarches (santé, police, tribunaux) et réduisent la charge émotionnelle et administrative.
Partenariats police-communauté avec formation continue sur l’histoire et les langues locales, afin de reconstruire confiance et réactivité ; plusieurs recommandations en ce sens apparaissent dans les travaux sur les pratiques policières en Inuit Nunangat.
Numérique et sécurité : télé-interprétation, télé-santé mentale, mais aussi prévention de la violence facilitée par la technologie (contrôle des appareils, harcèlement en ligne) intégrée aux plans de sécurité.
Ce que montre la recherche en prévention.
Le cadre RESPECT Women de l’OMS énumère sept stratégies efficaces : renforcer les compétences relationnelles, autonomiser les femmes, assurer les services, réduire la pauvreté, sécuriser les environnements, prévenir la violence envers les enfants et transformer les normes. Transposées au Nord-Ouest, ces stratégies plaident pour un mix qui associe micro-solutions (ex. transport vers les audiences, cartes alimentaires d’urgence) et macro-investissements (logement, connectivité, garde d’enfants).
Un point de vigilance : dans les données policières les plus récentes, les taux de violence familiale et de violence conjugale sont les plus élevés dans le Nord, et ils augmentent depuis 2018. Les services de proximité et la sécurité culturelle ne sont pas un « plus » : ce sont des conditions d’accès à la sécurité.
Et maintenant, que peut faire une communauté ?
1) Cartographier ce qui existe (jours/heures, langues, capacité, transport).
2) Former des navigatrices communautaires (paires, aînées, jeunes leaders).
3) Créer des protocoles police-santé-refuge pour des réponses coordonnées, y compris en dehors des heures ouvrables.
4) Expérimenter de petites unités de logement transitoire proches, en lien avec les réseaux d’entraide.
5) Suivre des indicateurs simples : délais, refus faute de place, besoins de traduction, continuité après 3 et 6 mois.
À retenir.
Le « local » n’est pas une solution au rabais : c’est le meilleur moyen d’offrir vite, bien et avec respect. La proximité et la sécurité culturelle réduisent les ruptures, renforcent l’autonomie et soutiennent la guérison individuelle et collective.
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Date de publication : 27 octobre 2025
Rédaction : Rachidata Sidibé | Chargée de communication
Contact: communication@centrelles.com
Références
Heidinger, L. (2024). Canadian residential facilities for victims of abuse, 2022/2023 (Juristat, 85-002-X). Statistique Canada. https://www150.statcan.gc.ca/ (consulté pour les données et tableaux). Statistique Canada
Women and Gender Equality Canada. (2024, 31 juillet). The National Action Plan to End Gender-Based Violence. https://www.canada.ca/ Gouvernement du Canada
Women and Gender Equality Canada. (2025, 24 septembre). Facts, stats and WAGE’s impact: Gender-based violence. https://www.canada.ca/ Gouvernement du Canada
World Health Organization. (2019, 6 avril). RESPECT women – Preventing violence against women. https://www.who.int/ Organisation mondiale de la santé
Pauktuutit Inuit Women of Canada. (s.d.). Addressing Gendered Violence against Inuit Women: A review of police policies and practices in Inuit Nunangat. https://www.pauktuutit.ca/ Pauktuutit Inuit Women of Canada
GBV Learning Network. (2021). Issue 35: Gender-Based Violence in Rural, Remote & Northern Communities. https://www.gbvlearningnetwork.ca/